Nous mentons tout le temps, nous trouvons ça normal, et pourtant c’est mauvais pour la santé !
May 14, 2022Dans une étude célèbre[1] de 1996, « Lying in everyday life », un groupe de chercheuses américaines mené par Bella M. DePaulo de l’Université de Virginie a voulu préciser le nombre de mensonges que nous disions chaque jour. Leur but était à la fois de vérifier le niveau d’acceptation sociale du mensonge, de vérifier les circonstances et donc les causes probables de ces mensonges, et enfin de voir s’il existait des différences significatives selon les sexes.
Pour cela, elles ont constitué un premier groupe de 77 étudiants (dont 47 femmes), âgés de 17 à 22 ans, et un second groupe de 70 personnes (dont 40 femmes), recrutées aléatoirement, et âgées de 18 à 71 ans. Et elles ont demandé à ces personnes de noter pendant une semaine toutes leurs interactions sociales, et le nombre de mensonges qu’elles avaient dits pendant ces échanges. Les résultats étaient particulièrement frappants…
Dans le groupe des étudiants, la moyenne était de 1 mensonge toutes les 3 conversations, et de 1 mensonge tous les 5 échanges dans le second groupe. Ces proportions étaient identiques d’un sexe à l’autre. En général les participants jugeaient qu’ils étaient des menteurs assez efficaces – tout en estimant (à tort) qu’ils mentaient moins que la moyenne.
D’après cette étude, mentir est donc une pratique universelle, très fréquente, tellement acceptée que les personnes s’y reconnaissent une vraie compétence, tout en gardant un reste de connotation négative…
Autre élément intéressant, les participants reconnaissaient que les conversations (en face-à-face, par téléphone ou par écrit) dans lesquelles ils avaient été honnêtes leur avaient semblé plus intimes et plus agréables que celles dans lesquelles ils avaient menti.
Pourquoi ? En 2002[2], une équipe de chercheurs menée par Daniel D. Langleben, de l’Université de Pennsylvanie, a montré qu’avant même de dire un mensonge, le seul fait de le penser pendant plus de trois secondes suffit à allumer une zone très particulière du cerveau, le cortex cingulaire inférieur. La réaction de ce détecteur interne est tellement puissante que certaines études évaluent la possibilité de remplacer le bon vieux détecteur de mensonges qui fonctionne en mesurant la pression artérielle et le niveau de transpiration par un détecteur de nouvelle génération, avec de l’imagerie cérébrale.
Dès qu’il s’est « allumé », le cortex cingulaire inférieur alerte l’amygdale, dont la fonction principale est de détecter les dangers potentiels pour l’organisme, de déclencher des réponses hormonales immédiates et, dans la foulée, des comportements pour nous protéger. Conséquence, quand on analyse le sang et la salive d’une personne qui est en train de mentir, on relève des niveaux élevés de cortisol et de testostérone. La première, souvent appelée « l’hormone du stress », augmente la pression artérielle, accélère le rythme cardiaque et la respiration, et dilate les pupilles. Quant à la testostérone, elle diminue notre niveau d’empathie, notre envie de coopérer et augmente notre niveau d’agressivité. Notre organisme s’est mis en état de surtension, face à une menace… qui vient de l’intérieur !
Jusqu’à un certain point, notre corps est capable de réguler l’augmentation brutale de ces hormones, et de revenir au niveau normal une fois que nous serons sortis de notre mensonge. Mais si la fréquence de ces mensonges devient trop importante, alors nous pourrions commencer à avoir des maladies chroniques de toutes sortes (comme le montre Robert Sapolsky dans un livre hilarant, Why zebras don’t get ulcers ? – Pourquoi les zèbres n’ont pas d’ulcères) : dépression, maladies cardiovasculaires, cancers… entre autres.
Ladies and gentlemen, c’est prouvé scientifiquement : mentir est une activité sociale banale, mais qui donne une couleur assez désagréable à nos interactions, et qui à terme peut être mauvaise pour la santé.
Dans une synthèse de plusieurs études disponibles[3], Leanne ten Brinke, Jooa Julia Lee and Dana R. Carney des universités de Berkeley et de Harvard, ont conclu que « le mensonge, l’égoïsme, la tricherie et l’infidélité sont associés à une série de conséquences négatives pour la santé, telles que l’augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle, la vasoconstriction, l’élévation du taux de cortisol et un appauvrissement important des régions du cerveau nécessaires à une régulation émotionnelle et physiologique appropriée ».
En revanche, être honnête… produit les effets contraires. Les trois chercheuses indiquent que « dire la vérité, être altruiste, agir équitablement et être généralement orienté vers les autres sont des vertus directement liées à une série de résultats positifs pour la santé tels que : une meilleure santé et un meilleur bien-être physique, un stress moindre, un vieillissement cellulaire réduit, un bien-être psychologique accru et une plus grande longévité ».
Être honnêtes les uns envers les autres augmente le niveau de confiance réciproque… et donc le niveau d’une hormone appelée ocytocine, souvent qualifiée « d’hormone de l’amour » ou « d’hormone du lien ». Cette hormone agit en opposition directe au cortisol et à la testostérone, elle « calme » l’amygdale et augmente « la confiance, l’empathie, la générosité, la sexualité, le lien conjugal et social et la réactivité aux stress.»[4].
Conclusion : nous pensons nous faciliter la vie au boulot ou en-dehors avec des approximations, améliorations, flous plus ou moins artistiques, omissions, contre-vérités… C’est faux. Prendre soin de la vérité, c’est prendre soin de notre santé d’abord, et c’est aussi construire des liens de confiance, nourrissants, durables.
[1] DePaulo, B.M and alii, Lying in Everyday Life, Journal of Personality and Social Psychology, 1996, vol 70, n° 5, 979-995
[2] Langleben, D.D. and alii, Brain activity during simulated deception : an event-related functional magnetic resonance study, Neuroimage, 2002, 15, 727–732.
[3] ten Brinke, L., Lee, J. J., & Carney, D. (2015). The physiology of (dis)honesty: Does it impact health?, Current Opinion in Psychology, 6, 177-182.
[4] Dr Rémy C. Martin-Du Pan, L’ocytocine: hormone de l’amour, de la confiance et du lien conjugal et social, Rev Med Suisse 2012; 8: 627-30
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