Moins de vœux, plus de tendresse
Dec 31, 2022Au-delà de la convention sociale, la cérémonie des vœux de fin d’année me semble comporter quelques pièges méconnus. Évidemment cela ne veut pas dire qu’il ne faut plus s’envoyer de messages ! Mais peut-être remplacer ces vœux… pieux par des gestes plus directement affectueux, chaleureux ou tendres.
Depuis quelques jours je réfléchissais à la manière la plus adéquate de présenter mes vœux… et je n’y arrivais pas. Étrange, parce que même s’il me faut en moyenne une demi-journée pour rédiger cette chronique, je trouve l’angle et la structure assez vite.
Au début j’ai pensé que c’était parce que tout le monde s’envoie ce genre de message à cette époque-ci de l’année, et que je n’aime pas les choses convenues, ni les choses artificielles. Et puis en y réfléchissant, je me suis dit qu’une chose convenue peut très bien être sincère – cela dépendait donc juste de mon intention.
De surcroît, ça n’est pas parce qu’un échange est convenu, et parfois un peu superficiel, qu’il est inutile : nous ne sommes pas toujours concentrés, ni pleinement attentifs à la réponse quand nous disons « bonjour, comment vas-tu ? » – et pourtant si nous cessions de poser cette question ou d’y répondre, cela serait sans doute assez mal vécu par nos interlocuteurs.
J’ai fini par comprendre que ce que je n’aime pas dans cette coutume, c’est qu’elle est bourrée de paradoxes.
Commençons par le classique « bonne année ». Après avoir répété toute l’année à l’envi des « bonne soirée », « bonne journée », « bonnes vacances »… le changement de calendrier ferait qu’on se calerait sur 12 mois, mais après tout… pourquoi se limiter à un an ? Pourquoi ne pas envoyer des cartes de vœux « pour une super décennie » ? Ou « je te souhaite une super (suite de) vie » ?
Continuons avec le « je te souhaite ». A force, il aurait presque un petit côté incantatoire, vous ne trouvez pas ? En quoi cette accumulation de vœux peut-elle provoquer la moindre amélioration dans la vie des personnes qui les reçoivent ? Pourtant si nous continuons à envoyer nos vœux, c’est bien que nous pensons – peut-être pas très consciemment – que cela pourrait avoir un effet ?
On serait alors dans un pouvoir magique, pas très clair… et quasi-divin : à l’origine, faire un vœu, c’est une promesse faite à Dieu en échange d’une récompense. Comme dans l’exemple donné par Le Robert : « échappé à un grand danger, il fit vœu de quitter le monde et se retira à La Trappe ». C’est de là que viennent les trois grands vœux religieux de chasteté, pauvreté et obéissance. C’est de là aussi que viennent les « ex-voto », offrande faite à Dieu pour demander une grâce ou pour remercier de l’avoir obtenue.
Mais si l’on accepte ce pouvoir positif des vœux, il faut alors aussi accepter la contrepartie négative : des phrases telles que « je te souhaite de bien te faire ch… dans ton boulot » ou « passe un week-end de m… et ne me remercie pas » auraient des chances d’atteindre leur but. Ou si nous ne croyons pas à l’effet de malédictions… alors il faut abandonner l’idée d’un pouvoir des bénédictions !
Dans tous ces vœux de bonne année, nous serions en réalité passés à une sorte de superstition assez banale, et comme autorisée une fois par an. La même superstition que vous retrouvez au théâtre, où l’on souhaite au comédien qui va rentrer en scène de se casser une jambe (par exemple en Angleterre ou en Espagne), de se jeter dans la gueule du loup (Italie) ou de recevoir un bon paquet d’excréments (France). Les interprétations s’enchevêtrent sur l’origine et les sens positif ou négatif de ces expressions, mais le plus drôle c’est de voir les comédiens (en France du moins) prendre un air entendu et répondre « je prends » pour ne pas dire « merci » ce qui ferait supposément tomber l’effet de ces vœux – à superstition, superstition et demie…
Si vous n’êtes pas particulièrement superstitieux, vous ne garderez de tous ces vœux qu’une formule de politesse, un signe de l’attention que vous portent les gens, des plus proches aux plus lointains (la caissière de supermarché qui offre et reçoit des centaines de bons vœux par jour, pendant des semaines, sans d’ailleurs que son quotidien ne change d’un iota). Va pour le signe de reconnaissance, après tout ils sont essentiels à notre santé psychologique, on aurait bien tort de s’en priver !
Oui mais… Ce signe de reconnaissance vient avec deux pièges principaux.
Le « reset » annuel
« Adieu 2022, vive 2023 ! » Chaque année, le même espoir traîne au fond des célébrations du nouvel an : que l’année qui démarre soit meilleure que celle qui s’achève. Comme si dans la nuit du 31 décembre, une gigantesque remise à zéro des compteurs s’opérait.
Entretenir cet espoir, c’est entretenir les mêmes déceptions, année après année. Parce que la vie se moque bien des dates, parce que les seules choses qui changent de manière certaine au 1er janvier ce sont un certain nombre de taxes ou de revenus encadrés, et surtout parce que notre vision de nous-même et du monde n’aura pas changé dans la nuit. Or l’immense majorité des choses qui se produisent dans notre environnement dépendent en fait de nous, de nos émotions, analyses, choix, comportements, actions.
Se souhaiter les bons vœux autour du 1er janvier, ce serait en quelque sorte relancer la roue de la fortune, en espérant que cette année, enfin, elle tombe sur une case un peu moins pourrie. Les loteries du monde entier connaissent d’ailleurs bien cette superstition et en mettent en jeu des cagnottes « spécial nouvel an » sur lesquels tous se ruent alors qu’ils n’ont bien sûr aucune chance supplémentaire de gagner.
Conduire sa vie ou la subir
Plus profondément encore, je crois que ce qui se cache derrière tous ces vœux, c’est l’idée que ce qui nous arrive ne dépend pas de nous. Je me souviens de vieilles dames sur le marché se saluant gravement avec cette incantation : « le bonheur, le succès et la santé – surtout la santé ! » En passant d’un groupe à l’autre, le bourdonnement recommençait, avec les trois derniers mois qui claquaient un peu plus fort.
Attendre de l’univers qu’il nous dispense ses bienfaits, le prier de ne pas nous en mettre plein la tronche, c’est abandonner notre pouvoir… et nous condamner à ce que rien ne change.
Notre bonheur, notre réussite, notre santé (surtout la santé !) dépendent de nos choix, de ce que nous voulons ou ne voulons plus, des décisions que nous prenons et de l’énergie que nous mettrons à respecter nos engagements vis-à-vis de nous-mêmes.
Regarder les étoiles en espérant qu’elles s’alignent mieux cette année, c’est risquer de ne pas bouger de sa terrasse. Prendre la route, c’est s’apercevoir que leurs dessins changent à l’horizon.
Je ne vais donc rien vous souhaiter pour 2023, plutôt vous envoyer un immense « abrazo » depuis mes collines espagnoles. J’espère que vous vous fixerez des buts qui vous motivent, que vous prendrez des décisions qui leur correspondent et que vous saurez entretenir votre énergie pour y parvenir. Et comme toujours, si vous voyez comment je pourrais y contribuer, dites-le moi !
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