Les vraies richesses
Dec 26, 2024« Aujourd’hui, ami de toutes ces maisons chaudes que le gel fait fumer sous les bosquets de bouleaux, je ne m’arrêterai pas chez vous. (…) Je crois que votre genre de vie est le seul raisonnable ; je suis sûr qu’il peut sauver du désespoir tous ces hommes d’à présent, jeunes ou vieux, noircis de n’être rien, certains de n’être jamais rien, ceux que la philosophie de cette société construite sur la hiérarchie de l’argent a transformés en hommes mécaniques, incapables de sentir, capables seulement de produire sans discernement et inutilement pour tous (…) oui, je suis sûr que vous pouvez les sauver.
(…)
On a dû te dire qu’il fallait réussir dans la vie ; moi je te dis qu’il faut vivre, c’est la plus grande réussite du monde. On t’a dit : ‘Avec ce que tu sais, tu gagneras de l’argent.’ Moi je te dis : ‘Avec ce que tu sais, tu gagneras des joies’. C’est beaucoup mieux. Tout le monde se rue sur l’argent. Il n’y a plus de place au tas des batailleurs. De temps en temps un d’eux sort de la mêlée, blême, titubant, sentant déjà le cadavre, le regard pareil à la froide clarté de la lune, les mains pleines d’or mais n’ayant plus force et qualité pour vivre ; et la vie le rejette. Du côté des joies, nul ne se presse ; elles sont libres dans le monde, seules à mener leurs jeux féériques sur l’asphodèle et le serpolet des clairières solitaires.
(…)
Ce dont on te prive, c’est de vents, de pluies, de neiges, de soleils, de montagnes, de fleuves, et de forêts : les vraies richesses de l’homme ! Tout a été fait pour toi ; au fond de tes plus obscures veines, tu as été fait pour tout. Quand la mort arrivera, ne t’inquiète pas, c’est la continuation logique. Tâche seulement d’être alors le plus riche possible. À ce moment-là, ce que tu es, deviens. »
Jean Giono, Les Vraies richesses.
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