Il n’y a pas d’équilibre vie privée - vie pro
Oct 15, 2022J’ai été très ému cette semaine par plusieurs personnes avec qui j’ai travaillé, et qui m’ont semblé à bout de fatigue, de tension, de tristesse et d’angoisse. Toutes m’ont parlé de leurs difficultés à trouver un « équilibre » entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Cela fait un certain temps que je réfléchis à la question, y compris pour moi-même. Et je crois qu’il est temps de changer radicalement de point de vue.
J’étais très content de retrouver cette jeune femme pour une session en face-à-face. Nous avions déjà travaillé ensemble, et j’avais été frappé par son énergie positive, son envie de tester de nouvelles méthodes, et son plaisir à trouver des solutions sur des sujets de communication.
Pourtant, quand je me connecte à notre réunion Zoom, je suis immédiatement frappé par son état de tension, ses traits tirés, son agitation. Je lui demande comment elle va et elle me répond : « bien bien, tout va bien, un peu fatiguée, c’est tout… » avec un petit rire. Je réponds juste « … fatiguée ? » Et elle commence à me décrire les deux mois qu’elle vient de vivre.
Plus elle parle, plus je suis ahuri. La quantité de contraintes, de difficultés, de « deadlines », de challenges… qu’elle décrivait était considérable. Et quand elle s’arrête, je lui dis juste, de manière tout à fait sincère : « … moi je crois que je serais épuisé » Elle reste silencieuse un moment. Puis je vois des larmes monter dans ses yeux. Et elle dit doucement : « c’est vrai que c’est difficile ». Et elle commence à me décrire d’autres contraintes, liées à sa vie de famille.
Plus j’écoutais cette jeune femme en larmes, plus l’idée d’un équilibre me paraissait une chimère. Pas parce qu’il est inatteignable. Sinon toutes les personnes que je rencontre, championnes du monde de la gestion de projet, auraient déjà trouvé la bonne méthode. Ou bien une des dizaines de recettes toutes faites, apparemment si simples, que vous pouvez trouver sur le net aurait déjà fait ses preuves ?
Dans les jours qui ont suivi, deux autres personnes sont arrivées très émues, avec des difficultés de communication, de colères rentrées, d’angoisses… et à chaque fois le sentiment exprimé « d’être perdu », de « ne plus m’en sortir », de « ne plus savoir comment m’organiser ». Et je me répétais : « c’est quand même dingue ! C’est l’un des sujets les plus vitaux qui soit, cela fait 20 ans que j’en entends parler, et pourtant j’ai l’impression que fondamentalement on n’a pas progressé d’un iota en la matière… Je continue à voir des gens brillants se carboniser au travail, tout en étant absolument conscients que ce qu’ils font n’est pas ok, et en continuant à chercher désespérément un équilibreentre vie pro et vie perso. Il y a un truc qui ne colle pas ! »
Je suis sûrement très sensible à ce sujet parce que j’ai fait un burn-out intense. Entre 2001 et 2009, j’ai mené deux jobs de front : formateur en entreprise et comédien. Deux jobs que j’ai démarrés quasiment en même temps, à presque 30 ans, après avoir été journaliste économique et (brièvement) analyste financier. Je me suis mis une pression considérable, parce que je voulais réussir « partout, comme d’hab’ ». Belle erreur… En octobre 2009 j’ai été invité à jouer dans un théâtre à Los Angeles, j’ai cru que je venais de franchir un seuil… et je me suis « crashé ». Je suis rentré en France sans finir mon engagement, et j’ai dormi pendant plusieurs semaines.
Une seule vie
A partir de ce moment j’ai commencé à changer le cours de ma vie. J’ai décidé de me concentrer sur mon métier de formateur, et surtout j’ai voulu comprendre. Comprendre comment fonctionnaient les relations aux autres, et à nous-mêmes. Que ce soit dans notre communication, dans l’utilisation de nos émotions, dans nos processus cérébraux. J’ai fait cinq ans d’études en Analyse Transactionnelle, en même temps qu’une thérapie personnelle, à Bruxelles puis à Waldkirch en Allemagne. Et je continue à m’enrichir sur ces sujets, ce qui nourrit les chroniques que je vous propose.
Ce sont toutes ces expériences qui me font penser qu’il est inutile, et même dangereux, de continuer à séparer deux « vies », la professionnelle et la personnelle. Nous n’avons pas deux vies, nous n’en avons qu’une. Elle s’organise en un très grand nombre de compartiments, de moments, de responsabilités, de cercles de personnes… tous ces ensembles évoluant eux-mêmes au cours du temps.
Parler de vie pro – vie perso, c’est donc doublement réducteur :
. D’abord parce que cela donne l’impression de deux mondes parallèles et disjoints, avec presque deux modes de fonctionnement différents
. Ensuite parce que dans notre vie hors du travail nous avons par exemple la vie de conjoint, de parent, d’ami, de patron d’association, de sportif, d’amateur d’art… Et du côté pro, nous avons la vie d’expert de certains sujets, de manager, de collègue, de copain, de syndicaliste, de commercial, de patron… La richesse de nos activités et de nos envies est immense et elle évolue avec le temps.
Le but n’est donc pas de trouver un équilibre « vie privée – vie pro », mais un équilibre dans ma vie. Et cet équilibre, il ne peut pas être statique, autour de principes immuables ! Parce qu’il deviendrait très vite un équilibre rigide, alors que le monde autour de nous change. Le seul équilibre possible est un équilibre dynamique, changeant, en mouvement. Mais qui doit avoir une seule finalité : conduire notre vie, toute entière, sans frontières ni restrictions, dans la joie.
Des indicateurs simples sur le tableau de bord interne
Pour conduire sa vie, nous disposons d’indicateurs simples :
Le premier, ce sont nos émotions. La joie, comme indicateur que je suis dans du bon pour moi, et que je dois y rester. La colère, comme indicateur que je suis heurté dans mes frontières et que je dois les faire respecter. La tristesse, comme indicateur que j’ai définitivement perdu quelque chose et que je dois trouver de la consolation. La peur, comme indicateur qu’un danger est proche, et que je dois trouver de l’aide ou de la protection.
Le second, c’est mon sens interne (le 6ème après les 5 plus connus) qui me renseigne en particulier sur mon état de tension et de fatigue. C’est celui qui me dit quand je dois faire du vide dans mon agenda, me reposer, dormir, le cas échéant voir un spécialiste pour régler ces tensions. Continuer à les ignorer, c’est m’exposer à ce que mon corps m’envoie à plus ou moins long terme des signaux beaucoup plus intenses, plus graves.
Devenons egocentrés
Mais tous ces indicateurs ne serviront à rien sans une vraie décision, fondamentale, sur mes priorités. Nous devons décider d’être ego – centrés. Comprendre et accepter que nous sommes au centre de notre monde et donc que c’est notre responsabilité première de prendre soin de nous. Si nous ne le faisons pas :
. Nous proposerons durablement aux autres une version sous tension, sous stress, une version « abîmée » de nous-mêmes
. Nous finirons par les obliger à prendre soin de nous
Être égoïste, c’est être au centre de sa vie et privilégier son intérêt propre aux dépens de ceux du reste du monde.
Être égocentrique, c’est être au centre de sa vie, prendre soin de soi et ensuite se mettre en relation avec les autres.
Personne ne peut respirer à notre place – c’est bien que nous sommes la personne la plus importante pour nous-même. Prendre soin de nous, décider de conduire notre vie dans la joie, c’est nous donner la possibilité de faire des choix conscients et positifs, pour nous-mêmes… et pour les autres, tant que cela ne vient pas en contradiction avec la règle n°1.
C’est par rapport à cette règle fondamentale que nous devons ensuite faire des choix, dire oui à certaines demandes, et non à d’autres. Comprendre que nous avons toujours le choix, et exercer souverainement cette puissance, c’est la clé pour accroître notre estime de nous-mêmes, à nos propres yeux d’abord, et dans l’esprit des autres ensuite.
Je m’arrête ici parce que ce sont des sujets bien trop vastes pour les « boucler » en une chronique.
J’espère que ce que je propose sera utile à certains d’entre vous, et je serai très heureux d’avoir vos retours, qu’ils soient favorables ou critiques.
Ce qui me donnera la possibilité de chroniques prolongeant celle-ci.
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