Colère épisode 3 – La colère n’est pas la rage

Feb 12, 2022
Colère épisode 3 – La colère n’est pas la rage - Aurélien Daudet

Aujourd’hui, je veux éclaircir une confusion fréquente et dangereuse : la colère n’a rien a voir avec la rage, la seconde est une version escaladée, « contaminée » de la première. La colère est saine et augmente notre bien-être, la rage rompt les relations et diminue notre estime de nous-même. Et la rage risque d’apparaître lorsqu’on utilise mal ou pas sa colère…

 

 

En formation de groupe ou en session individuelle, lorsque je dis une phrase en incarnant la colère, les personnes en face de moi me disent en général : « non mais là tu n’es pas en colère ! » Bon, j’ai été comédien professionnel pendant huit ans, mais après tout ça remonte, et peut-être que j’ai perdu ces compétences !

 

 

Donc je refais un essai, et je dis par exemple avec un ton très ferme, le visage quelque part entre neutre et fermé, le corps droit et les abdos serrés : « tu ne m’as pas envoyé les informations que tu m’avais promises, et cela m’empêche d’avancer. Je suis en colère, parce que j’ai l’impression que tu ne respectes pas mon travail. »

 

 

Rebelote, j’ai droit à « mais non, Aurélien, tu n’es pas en colère, tu as l’air beaucoup trop calme. Quand on est en colère, on est beaucoup plus en tension et le visage le montre beaucoup plus, les mains se serrent, souvent les épaules se tendent, et surtout, surtout, on se met tout de suite à parler plus fort ».

 

 

Pour beaucoup de personnes en effet, « élever la voix » est le signe n°1 de l’émotion colère. La croyance, c’est que « gueuler un bon coup », c’est un moyen efficace de « lâcher la soupape », et de « baisser la pression ». Et aussi un moyen efficace de « se faire entendre ». Checkons ces deux croyances !

 

 

Commençons par l’idée qu’élever la voix serait utile pour relâcher des tensions. Soyons concrets : imaginez que quelque chose ne va pas dans votre sens ou que quelqu’un a fait une chose à l’origine de votre colère. Vous visualisez la scène ? Imaginez maintenant que vous commencez à parler plus fort, à monter le volume, vous n’êtes pas encore à crier, mais vous n’êtes déjà plus dans votre voix « normale ». Avez-vous l’impression que les tensions ont diminué ? En fait, vous en avez probablement rajouté ! Vous avez maintenant des tensions dans la nuque, sur les côtés du cou, probablement aussi dans les mains et les épaules, peut-être même mal à la gorge (aux cordes vocales) et du mal à respirer.

 

 

Donc non, élever la voix ne sert jamais à diminuer les tensions. Ce qui va nous apaiser, c’est d’obtenir que l’autre fasse ce que nous voulons, ou qu’il arrête de faire ce qui nous percute dans nos frontières. Rappelez-vous, c’est dans l’épisode 1 de cette série sur la colère : je vous expliquais que cette émotion est faite pour nous indiquer que quelque chose ou le comportement de quelqu’un est en train de « rentrer » dans notre périmètre, de nous « empêcher », et qu’elle nous donne l’énergie pour rétablir justement notre périmètre, notre « zone de confort ».

 

 

Mais justement, peut-être qu’élever la voix nous permettrait d’obtenir plus rapidement ce que nous voulons des autres ? C’est la seconde croyance sur la rage -, la colère « escaladée » : « si je crie un bon coup, je vais me faire entendre, et ils vont finir par comprendre ! »

 

 

Factuellement, si vous montez le volume, la personne en face de vous va avoir les tympans qui vont vibrer plus fort… Mais en général elle n’avait pas eu de problèmes à vous entendre la première fois. Ce que vous voulez ça n’est bien sûr pas vous faire entendre, ni même de vous faire comprendre. Ce que vous voulez, c’est que la personne fasse quelque chose. Et la question c’est bien sûr : est-ce que crier va être efficace pour que quelqu’un passe à l’action dans votre sens ?

 

 

Imaginez cette fois une seconde quelqu’un qui est en train de s’adresser à vous avec un volume supérieur à la normale, et donc souvent avec le visage déformé par cet effort ? Est-ce que vous avez l’impression que vous serez enclin à faire ce qu’il est en train de hurler ? Et même si vous le faites juste pour arrêter cette scène, est-ce que vous n’allez pas vous sentir frustré, humilié, insulté ? Et quid de votre relation future du coup ? Est-ce que vous n’allez pas tout faire pour éviter cette personne qui « hausse le ton » si souvent ? Est-ce que vous n’allez pas éviter d’échanger avec cette personne vos idées, vos émotions, vos envies ? Et peut-être même que la seule chose que vous allez chercher à faire avec cette personne, ce sera de vous venger ?

 

 

Vous pensez toujours que « monter dans les tours », « hausser le ton », « gueuler un bon coup », « envoyer une soufflante »… soit une bonne idée ?

 

 

Encore une fois, tout ce que je vous décris aujourd’hui, ça n’est plus de la colère, c’est déjà de la rage. Dans la première, je vise un comportement de la personne en face de moi, et donc je ne me mets pas « au-dessus » de cette personne. Dans la rage au contraire, je fais comme si j’avais plus de valeur que la personne en face de moi, je me mets en « + / – » : hausser le ton, c’est déjà commencer à rabaisser l’autre.

 

 

Une dernière chose : il n’y a pas loin de « gueuler un bon coup » à « taper du poing sur la table ». Certains d’entre nous utilisent cette expression comme l’image de « imposer son point de vue », encore une fois « se faire entendre ». Mais en réalité ce qui se cache dans cette expression, c’est le niveau suivant dans l’escalade de la rage : la violence physique.

 

 

Lorsque nous commençons à élever la voix, nous devons réagir tout de suite, pour revenir à ce que nous voulons, et pour faire une demande claire (j’y reviendrai dans l’épisode de la semaine prochaine). Sinon, notre frustration va augmenter, et le risque c’est que face à notre apparente impuissance, nous montions un degré de plus dans la rage.

 

 

C’est le moment où les documents ou les mains s’abattent sur les tables, les crayons cassent, les portes claquent, les objets volent. Nous sommes tellement enfoncés dans la rage que nous ne trouvons plus les mots et que nous pensons que ces actions vont faire comprendre aux autres ce que nous ressentons !

 

 

Evidemment tout ce que nous allons obtenir c’est une escalade parallèle en face, soit dans la rage, soit dans la terreur. Avec en plus le risque évident de dommages physiques : soit parce que « sans faire exprès », un carreau cassé, un objet jeté, une porte balancée va blesser quelqu’un. Soit, encore plus grave, parce que nous allons passer aux violences physiques directes.

 

 

Donc si vous avez l’impression que vous n’arrivez plus à revenir à un comportement acceptable, prenez congé, reportez la discussion, sortez de la pièce et allez utiliser votre adrénaline ailleurs, dans une autre activité physique, sans danger potentiel ! Par exemple, allez courir, plutôt que de couper du bois.

 

 

La semaine prochaine je vous montrerai comment utiliser tout de suite notre colère pour faire une demande. Et obtenir ce que nous voulons en restant en « + / + » – ce qui va instantanément faire disparaître notre colère. Si elle escalade, et devient de la rage, c’est parce que nous ne l’avons pas utilisée à bon escient. C’est notre responsabilité, pas celle des autres.

 

 

J’espère que vous voyez plus clairement la différence entre la colère, utile et bénéfique, et la rage, qui coupe les liens et est dangereuse. C’est pour éviter la rage que tant de personnes bloquent leur colère, et préfèrent dire « je suis agacé », « contrarié », « stressé »… En fait ils sont en colère, et un jour, sans comprendre, ils exploseront dans un accès de rage incontrôlée.

 

 

Prenons soin de nous, et de nos colères. Elles sont inévitables, parce que nous ne pouvons pas vivre seuls et que les autres, régulièrement, rentreront trop loin dans nos frontières. C’est ok d’être en colère, c’est ok de le dire, il faut juste en faire quelque chose, tout de suite.

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