Une histoire de fils rouges…

Apr 01, 2023
Une histoire de fils rouges… Aurélien Daudet

Quand mes clients me demandent un coup de main pour construire un événement, ils ont en général une obsession : « le fil rouge ». Je vous propose une manière simple de s’y prendre.

J’ai continué cette semaine à peaufiner ma nouvelle formation sur les émotions, que je vais filmer la semaine prochaine à Strasbourg. C’est le moment où il faut que je calme mes angoisses « sois parfait », avec lesquelles je me réveille la nuit en me demandant si j’ai bien pensé à tout… Et je ne parle pas de la logistique : qu’est-ce que je mets dans ma valise, quels plans B-C-D en cas de nouvelles annulations d’avion ou de train. Ce avec quoi je me fais des nœuds au cerveau, c’est « est-ce que j’ai bien pensé à tout dans le contenude cette formation ? »

Heureusement je sais quoi me répondre : « non ». « Non, je n’ai certainement pas pensé à tout, parce que tout, ça ne veut rien dire. J’ai pensé aux choses importantes, qui donnent à cette formation une vraie structure et un vrai trajet. Le but, ça n’est pas de faire un parcours où il y ait tout, c’est de faire un parcours où à la fin les personnes aient les idées claires sur leurs émotions, et des outils puissants pour les utiliser ».

Si vous vous retrouvez parfois à vous noyer dans les détails, refocalisez-vous sur le but ce que vous êtes en train de faire. S’agit-il de « cocher toutes les cases » ? « Donner toutes les infos » ? Le signal d’alerte est dans les exagérations : « toutes » les infos. Le but, c’est toujours que vous ayez embarqué les personnes en face de vous, depuis un problème jusqu’à une solution, et qu’ils aient envie d’adopter cette solution.

La prochaine fois que vous angoisserez pour savoir si votre production sera « à la hauteur », demandez-vous simplement « à la hauteur de quoi ? » Quel est le contrat que j’ai passé avec les personnes à qui je parle ? Est-ce qu’ils viennent pour avoir toutes les infos, depuis le contexte jusqu’aux perspectives en passant par la situation actuelle ? Ou bien est-ce qu’ils viennent pour entendre ma solution, la secouer joyeusement avec moi, l’ajuster éventuellement et ensuite l’appliquer ? Un bon moyen d’éviter les loopings intérieurs, les questionnements sans fin, et les blocages face à votre écran, c’est donc de savoir ce pour… quoi / dans quel but (et pas pourquoi / à cause de quoi) vous allez écrire un document ou prendre la parole.

Je reprends l’exemple de mon parcours sur les émotions : au départ, j’avais une idée assez claire de ce que je voulais construire. Et puis j’ai posé la question suivante au sein de mon réseau : « en matière de gestion des émotions, quelle est votre plus grande difficulté ? » J’ai eu 141 réponses, qui étaient un cadeau magnifique ! Parce que je me suis rendu compte que ce que je m’apprêtais à faire ne répondait que très partiellement aux trois grandes difficultés qui ressortaient de ces réponses. J’ai donc changé mon parcours, les grandes étapes de cette formation, son contenu. Ça n’a pas été simple, évidemment ! J’aimais beaucoup ma première construction – problème : elle parlait surtout à moi…

Depuis 20 ans, j’ai eu l’occasion d’intervenir sur des dizaines de conventions annuelles, de road-shows, de présentations d’appels d’offres, de séminaires, de colloques, de tables rondes… Si l’on m’appelle, c’est en général parce que les personnes « rament ». Et quand j’arrive elles me disent quelque chose du genre : « voilà, on sait à peu près quels sont les intervenants, on sait à peu près ce qu’ils vont dire, mais on n’arrive pas à trouver le lien, à ce que tout cela tienne ensemble ». Et arrive en général ensuite le mot magique : « on n’a pas encore le fil rouge ». Se focaliser sur le fil rouge, c’est se focaliser sur l’itinéraire. Comme si j’avais le nez collé sur la carte sans me demander d’abord où je vais.

Voici les deux questions essentielles que vous devez vous poser, dans cet ordre, pour construire votre événement, avant de vous demander qui va causer, pour dire quoi  :

  1. « A la fin de notre parcours, qu’est-ce que nous voulons qu’ils disent, fassent ou pensent ? » – c’est votre intention, l’endroit où vous voulez les emmener
  2. « Par rapport à cette intention, aujourd’hui, c’est quoi leur problème n°1 ? » – c’est l’endroit où vous les prenez

Ensuite il ne vous reste plus qu’à construire le pont entre les deux. 

Je reprends le cas de mon parcours sur les émotions : j’ai repensé aux formations que j’ai déjà animées sur le sujet, tous les articles que j’ai écrits, tous les échanges informels avec mes clients ou des participants en marge d’autres sessions, tous les bouquins que j’avais lus… et après pas mal d’itérations, je suis arrivé à : « ce que je veux, ce qui me rendrait vraiment heureux, c’est : donner envie aux participants d’utiliser des outils simples pour faire de leurs émotions les alliées puissantes de leur bonheur pro et perso ».

Tout excité, j’ai construit un premier draft… que j’ai mis à la poubelle après avoir lu les réponses des personnes à mon enquête. Et j’ai construit un nouvel itinéraire, plus efficace (j’espère !) entre leurs problèmes et mon objectif. Avec une nouvelle structure et aussi de nouveaux éléments : certains n’étaient plus utiles, et j’ai dû aller en chercher d’autres.

J’ai discuté plusieurs fois ces dernières semaines avec une jeune femme brillante, responsable RH, chargée d’organiser un séminaire de 4 jours au sein de sa boîte. La bonne nouvelle : elle a commencé à me parler de ce séminaire avant d’avoir construit une cathédrale et prévenu 17 intervenants. En gros, elle avait juste fixé les dates de son événement. La première chose que nous avons faite a été de réfléchir à « qu’est-ce qu’on adorerait qu’ils disent, fassent ou pensent à la fin des 4 jours ».

Je vous préviens tout de suite : la réponse bateau « qu’ils aient passé un bon moment / qu’ils aient trouvé ça intéressant – génial – super » ne suffit pas ! Sauf si le but c’est uniquement de se marrer un bon coup, et à ce moment-là confiez votre parcours à une boîte d’événementiel, ce sont eux les experts.

Au final, nous avons déterminé l’intention du séminaire, qui s’intègre dans la stratégie business de son entreprise, et qui lui a permis de faire un premier draft de son itinéraire. Mais je lui ai conseillé quand même de faire une enquête en amont auprès de ses participants pour savoir quelle est leur difficulté n°1 par rapport à cette fameuse intention. Si elle le fait, il est possible que l’intention de chacun des ateliers bouge encore… et c’est tant mieux !

En synthèse : quel que soit le parcours, une construction efficace commence… par la fin. Ensuite on demande aux participants où ils sont en ce moment. Enfin on construit l’itinéraire entre les deux points.

Dans son bouquin The Invisible Ink, sur l’art d’écrire des histoires, Brian McDonald écrit : « one way to look at your armature is what is called, in children’s fables, ‘the moral’. The armature is your point. Your story is sculpted around this point. »[1] Une histoire bien construite, c’est une histoire qui sait où elle va. Dans ce cas-là, le fil rouge, c’est l’armature cachée.

N’acceptez plus ces réunions où on se pose les questions suivantes : « qui on a comme speakers, qu’est-ce qu’ils ont à dire, comment on fait tenir tout ça ensemble ». Votre fil rouge sera un rouleau de scotch tout juste bon à coller les morceaux pendant quelques heures. Et sans vraie cohérence, rien ne restera dans la mémoire des participants.

Si vous êtes trop le nez dans le guidon, appelez-moi : j’adore ce boulot de mécano inversé !

[1] Brian McDonald, The Invisible InkA Practical Guide to Building Stories That Resonate, Talking Drum, 2017, p. 20

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