« On lit tout sur mon visage »… pas vraiment !

Une RRH me raconte : « ma principale faiblesse, c’est que je n’arrive pas à masquer mes émotions. J’ai l’impression d’être un livre ouvert ». Il y a deux erreurs dans cette phrase - avec lesquelles elle gâche malheureusement beaucoup d’énergie.

« Je veux arriver à rester forte, à donner une impression de professionnalisme et de sérieux. Mais je n’y arrive pas, Aurélien. J’ai l’impression que tout se lit sur mon visage, que je suis transparente ». La jeune femme a l’air de s’excuser, comme si elle venait d’avouer une faute, un signe de ce qu’elle n’est pas à la hauteur. « Tu comprends, nous, à la RH, nous représentons la Direction, le top management. Donc nous ne pouvons pas nous permettre de montrer des faiblesses. Nous devons avoir l’air de maîtriser les choses, il faut que les gens puissent nous faire confiance ». En terminant sa phrase, elle a le regard qui baisse, et son visage a l’air très fatigué.

Je lui demande : « est-ce que c’est une contrainte que tu t’imposes, ou bien quelque chose que ton management t’a demandé de faire ? » Elle me répond avec un petit sourire : « oh, non ! Personne ne m’a jamais dit quoi que ce soit ! C’est juste moi qui pense que lorsque des managers arrivent dans mon bureau, avec les émotions qui sont déjà au plafond, je dois leur donner une image de calme, de maîtrise. La même chose d’ailleurs avec les personnes de mon équipe. Je dois leur montrer que je suis forte et que je tiens la barre. »

1^ère étape : rétablir une vision positive des émotions, de toutes les émotions

La première croyance fausse de cette RRH, c’est que cacher ses émotions, les masquer, les maîtriser… c’est un moyen pour être forte. Comme si nos émotions étaient une faiblesse, qu’il fallait les voir comme des failles par lesquelles pourraient s’échapper confiance en soi, professionnalisme, motivation, engagement, leadership… Les émotions, ce seraient les trous dans la passoire, les mailles du filet. Une manager, et plus encore une manager RH, doit être revêtue d’une armure brillante, parfaitement lisse et admirable.

Nos émotions seraient des failles parce qu’elles viendraient perturber notre raison, obscurcir notre jugement, nous redescendrions vers l’animal en nous, soumis aux instincts, aux réactions brutes, inefficaces au mieux, dommageables le plus souvent. Thème recyclé depuis Platon, usé jusqu’à la corde, de plus en plus contredit par la science, mais qui pourtant constitue encore la toile de fond de notre pensée occidentale.

D’abord, nos émotions sont des processus qui naissent d’abord dans notre cerveau (et pas dans une sous-zone de ce dernier…), comme nos raisonnements. Pourquoi un processus cérébral aurait-il plus de valeur que l’autre ? Ce serait d’autant plus absurde que sans nos émotions, nous ne sommes ni capables de penser juste, ni capables de prendre des décisions. Enfin, nos émotions sont des énergies qui nous aident à piloter de manière positive notre vie et nos relations.

Nous couper de nos émotions, ou seulement vouloir les « maîtriser », c’est nous priver d’indicateurs et de moteurs précieux. En plus, pour tenir ce masque, pour construire cette muraille infranchissable, nous allons consommer une quantité considérable d’énergie – qui nous serait bien plus utile ailleurs.

2^ème étape : en matière d’émotions, mettons les sous-titres…

La deuxième erreur de cette jeune femme, courante chez les personnes des RH avec lesquelles je travaille, c’est qu’on peut tout lire sur son visage, et que c’est un problème.

Certes, c’est sur le visage que nous avons pris l’habitude de concentrer la manifestation de nos émotions. C’est là que nous allons chercher à « lire » les émotions des personnes en face de nous. J’ai bien dit « chercher à ». Parce que contrairement à une croyance très largement répandue (je l’ai pensé et répété pendant près de 20 ans…) il n’est pas possible de lire les émotions sur le visage de quelqu’un. Tout ce que je peux voir, ce sont des changements d’expression. A quelles émotions est-ce que cela correspond ? Si vous croyez que vous savez le « deviner » (ou pire le sentir !), oubliez tout de suite ! Chaque personne a une manière unique d’exprimer ses émotions. Ce que vous croyez lire, c’est une projection de l’image que vous avez construite, selon toute probabilité très différente de sa propre construction.

Evidemment, s’il est quasi-impossible de lire les émotions sur le visage de quelqu’un, il est absurde de croire qu’on pourrait en identifier les raisons ! Pas plus que ce dont nous avons besoin pour nous remettre à l’équilibre. Si vous croyez que les gens vont lire vos émotions et comprendre ce que vous voulez, si vous croyez que vous êtes capable de lire les émotions des autres et de décrypter ce qu’ils veulent… vous vivez dans un monde magique.

La seule solution, c’est d’identifier ce qui se passe chez nous. Et de l’expliquer aux autres, à haute voix, avec des mots. Quant à ce qui se passe chez les autres, vous pourrez dire ce que vous avez vu, de quoi ça a l’air pour vous, et les questionner.

Je suis d’accord, c’est nettement moins excitant que de croire qu’on a des super-pouvoirs. Mais je vous garantis que c’est nettement plus efficace pour construire des relations saines.

. Est-ce que vous vous êtes reconnue dans le discours de cette RRH ?

. Est-ce que je vous ai suffisamment chauffé le neurone avec cette chronique ?

. Est-ce que vous êtes intéressée « globalement », mais « pas totalement d’accord » dans les détails ?

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