Le paradoxe de la médaille d’argent… ou comment entraîner notre cerveau !

May 07, 2022
Le paradoxe de la médaille d’argent… ou comment entraîner notre cerveau ! Aurélien Daudet

Imaginez une seconde que vous êtes un marathonien engagé aux prochains Jeux Olympiques. Qu’est-ce qui vous rendrait le plus heureux ? Remporter la médaille d’or, celle d’argent ou celle de bronze ? La médaille d’or, n’est-ce pas ? Bon. Imaginez maintenant que quelqu’un d’autre a franchi en premier la ligne d’arrivée. Qu’est-ce qui vous rendrait le plus heureux ? Repartir avec la médaille d’argent, ou avec la médaille de bronze ? Vous répondrez sans doute… la médaille d’argent. Bien sûr. C’est logique. Et pourtant…

Dans une expérience célèbre réalisée après les jeux Olympiques de Barcelone, en 1992, des chercheurs des universités de Cornell et de Tolède ont regroupé des vidéos d’une trentaine de médaillés de bronze et d’argent, juste après la fin de leur compétition et sur le podium. Puis ils ont demandé à un groupe de personnes de classer ces vidéos, en fonction de l’émotion lue sur les visages, sur une échelle de 1 à 10 – 1 étant « l’agonie » et 10 « l’extase ».

Les résultats étaient absolument fascinants : les médaillés de bronze avaient des expressions notées en moyenne à 7,1, donc nettement du côté « joie ». Tandis que les médaillés d’argent avaient des expressions notées à 4,8 – donc légèrement du côté du déplaisir et surtout nettement en-dessous de celles des médaillés de bronze…

Cette étude a été reproduite plusieurs fois. Par exemple en 2004 David Matsumoto, de l’université de San Francisco, a regroupé 21000 photos de 84 participants à l’épreuve de Judo des JO d’Athènes. Sa conclusion ? Quel que soit leur pays d’origine, les médaillés d’argent souriaient très significativement moins que ceux en bronze.

Et en 2020, des chercheurs de l’université du Minnesota et de l’Iowa ont regroupé des photos de 413 athlètes dans 142 disciplines, 67 pays et 5 olympiades différentes. Ils ont analysé leurs expressions à l’aide d’un logiciel appelé Emotient, pour éviter tout biais « humain »… et les résultats restaient identiques. Les médaillés d’or étaient ceux qui souriaient le plus, mais les médaillés de bronze avaient l’air nettement plus heureux que ceux en argent. Leur conclusion : « ceux qui étaient objectivement meilleurs se sentaient malgré tout plus mal ».

 Ce paradoxe entre l’interprétation logique (une médaille d’argent c’est un meilleur résultat qu’une médaille de bronze) et l’interprétation « réelle » des athlètes est un exemple de ce que les chercheurs appellent « counterfactual thinking », ou notre manière d’interpréter la réalité parfois « contre » les faits. Avec deux grandes options : « si seulement » et « au moins ». Les médaillés d’argent choisissent l’option « si seulement » : si seulement j’avais démarré un peu plus vite, si seulement je n’avais pas été malade il y a trois mois, si seulement la première avait dérapé sur l’obstacle… si seulement. Les médaillés de bronze eux sont dans le « au moins » : au moins j’ai une médaille, au moins je ne rentre pas bredouille, au moins j’ai fait tous ces efforts pour quelque chose… Ceux en argent se disent « j’ai failli gagner », ceux en bronze « j’ai failli ne rien avoir du tout » !

Nous ne sommes pas tous (en tous cas pas moi 😀 !) des athlètes de haut niveau. Mais nous sommes confrontés aux mêmes choix : quand je n’ai pas remporté un contrat, est-ce que je me dis « j’ai failli l’avoir, ça fait ch…, ça s’est joué à rien… si seulement j’avais eu de l’aide en interne » ou bien est-ce que je me dis « au moins j’étais en short-list, le client m’a dit qu’il m’appellerait sur le prochain appel d’offres, au final j’ai créé une relation avec quelqu’un d’important dans mon secteur » ? Est-ce que lorsque je n’ai pas la promotion que je désire, je me dis « c’est toujours pareil, si seulementune fois, juste une fois, on regardait les vrais mérites des gens » ou bien « au moins je vais arrêter de rester coincé à attendre cette nomination, et je vais pouvoir me remettre sur autre chose » ?

David del Rosario, chercheur en neurosciences et auteur du best-seller El libro que tu cerebro no quiere leer (Le livre que ton cerveau ne veut pas lire), rappelle que nos pensées sont des propositions que notre cerveau nous fait dans chacune des situations de notre vie, à partir de nos expériences passées, de nos objectifs, notre vision du futur, et, à un degré bien moins important, notre patrimoine génétique.

Si nous sommes conscients de ce mode de fonctionnement, nous recevrons nos pensées pour ce qu’elles sont : des propositions neuronales. Et donc nous pourrons les comparer entre elles, analyser leur utilité pour notre situation actuelle, faire le tri, et ensuite décider d’une manière d’agir, d’un comportement. Si nous ne les voyons pas comme de simples propositions, nous allons considérer nos pensées comme la réalité elle-même. Être conscients que nos pensées sont des propositions de notre cerveau, c’est les voir comme de simples possibilités… et donc rester disponibles mentalement à d’autres options.

Nous ne pouvons pas nous empêcher de penser. Dans une conférence que j’ai vue cette semaine (désolé, elle n’est disponible qu’en espagnol et en catalan !), David del Rosario montre que notre cerveau nous propose des pensées de la même manière que notre cœur pulse le sang, ou les poumons l’air, dans nos organes. Penser, c’est sa fonction. Mais comme le reste de l’organisme, le cerveau fonctionne selon le mode « utiliser ou jeter ».

Quand nous nous cassons la cheville, on nous pose un plâtre. A partir de ce moment-là, nous allons perdre 5% de masse musculaire par semaine, et 2% de masse osseuse par mois. Comme le dit David del Rosario, l’organisme, voyant que nous n’utilisons plus cette jambe, se dit « bon, ben je la ‘jette’ ». Il arrête de la nourrir. Au contraire, quand nous allons faire des exercices de rééducation, de musculation, nous allons augmenter la masse musculaire à cet endroit.

Nous pouvons appliquer la même règle avec nos pensées. Chaque fois que notre cerveau nous propose une pensée, nous pouvons décider de l’utiliser… ou pas. Comment ? En fixant notre attention sur cette pensée, ou au contraire, en détournant notre attention de cette pensée. Chaque fois que je fixe mon attention sur une pensée, mon cerveau interprète que cette pensée m’est utile. Et par conséquent la probabilité qu’il me propose des pensées comparables dans des situations comparables va augmenter. Si au contraire, je ne prête pas attention à une pensée, mon cerveau va moins me proposer des pensées du même style dans le futur.

Plus concrètement encore, il ne s’agit pas de lutter contre une pensée que nous jugeons négative, ou inutile. Car en faisant cela, nous allons focaliser notre attention sur elle… et donner le signal contraire au cerveau. David del Rosario montre qu’il est totalement contre-productif de vouloir « bloquer » nos pensées négatives, et nous « forcer » à aller vers des pensées positives ! Ne cherchons pas à fuir nos pensées, considérons-les une seconde, en utilisant nos ressentis, nos émotions pour juger de leur intérêt. Si nous n’en voulons pas… laissons-les simplement passer. Le cerveau nous en proposera d’autres, c’est certain, c’est son job. Et progressivement, nous allons sortir de nos boucles de stress, d’angoisses, pour rentrer dans un cercle positif, constructif, joyeux.

A la semaine prochaine !

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