La rentrée des enfants… et des acteurs

Sep 03, 2022
La rentrée des enfants… et des acteurs - Aurélien Daudet

La semaine dernière j’ai animé ma première session de formation de la rentrée. D’habitude, j’aime beaucoup l’ambiance de la fin du mois d’août : tout le monde est détendu, bronzé, heureux de se retrouver dans une sorte de sas avant le grand redémarrage, ceux qui ont des enfants n’ont pas encore à gérer les transports à l’école…

En plus, je retrouvais une équipe marketing avec qui j’avais déjà passé deux jours magnifiques pendant l’hiver : des personnes brillantes, profondes, ouvertes à la réflexion sur leurs émotions, leurs comportements, leurs choix, toujours prêtes à tester de nouvelles choses. Quand leur manager, une femme que j’admire, leur avait proposé de faire un deuxième tour avec moi, tous avaient voté joyeusement pour – une femme enceinte avait même interrompu son congé maternité pour rejoindre le groupe ! J’allais oublier : nous allions nous retrouver au même endroit que la première fois, dans un château magnifique, avec un parc extraordinaire et un accueil au top.

Tout va bien… en théorie

 

Bref, toutes les conditions étaient réunies pour que ce soit un moment magnifique, et pourtant j’étais dans une tension maximale pendant les quelques jours qui ont précédé. Le premier matin, je suis arrivé dans la salle avec plus d’une heure d’avance… et j’ai utilisé tous les exercices de respiration et de concentration que je connais pour me détendre.

Finalement, tout s’est très bien passé, et j’ai rangé ce séminaire dans ma « bibliothèque des grands moments » – celle où je retourne de temps à autre pour me souvenir des raisons pour lesquelles je fais ce job. Mais j’ai continué à réfléchir aux raisons de cette montée de stress – et je pense que ce que j’ai découvert peut être utile à d’autres en ce moment !

D’abord, je me suis rendu compte que c’était un mélange d’angoisse (de ne pas être à la hauteur des attentes de ce groupe qui me faisait confiance pour la deuxième fois) et d’excitation (à l’idée de justement les retrouver, dans un lieu magnifique, pour aller encore plus loin dans la construction d’une communication qui fait du bien). Plus le séminaire se rapprochait, plus j’avais réussi à me focaliser sur l’objectif, ce que je désirais atteindre avec eux. Ce qui m’avait permis de monter le niveau d’excitation tout en diminuant celui de l’angoisse.

En même temps, je me suis dit que depuis plus de vingt ans que je fais ce job, je suis déjà passé des centaines de fois par ce processus, et que je le connais par cœur. Donc cela n’expliquait pas pourquoi cette fois j’avais grimpé aussi haut dans les montagnes russes ! J’ai continué à chercher ce qui avait pu être un élément déclencheur… et je pense que j’ai trouvé : je faisais ma rentrée.

La loterie de la rentrée des classes

 

Pour beaucoup d’entre nous, la charnière fin août – début septembre nous ramène à l’époque de la rentrée des classes. La fin des vacances, bien sûr, et puis aussi l’arrivée dans une nouvelle classe (en général celle du dessus, sauf pour ceux qui préférait « approfondir leurs bases », comme on disait dans ma famille…). Un mélange de retrouvailles (copains et profs connus) et de découvertes (nouveaux élèves, nouveaux profs, nouvelles salles de cours).

Enfants, nous étions bien plus conscients de l’importance des liens – nous n’avions pas encore « avalé » cette illusion des adultes qui croient parfois pouvoir vivre seuls ou entourés de personnes indifférentes ou hostiles. Il y avait donc une vraie « urgence » à réussir la rentrée, c’est-à-dire à tracer au mieux notre route pour créer rapidement un maximum de relations positives.

Or, la rentrée scolaire c’est le moment où un très grand nombre de choses se décident… sans que nous ayons forcément notre mot à dire :

. La disposition des élèves dans la classe (devant, au fond, près de la fenêtre, près des copains, près de la star en maths…)
. Les demi-groupes pour certains cours (les TP de maths, les classes de langues)
. La répartition par la prof de sports en fonction des aptitudes « détectées » pendant la première heure
. Notre binôme pour les travaux pratiques en biologie ou en physique
. L’emploi du temps (quelles heures de début et de fin chaque jour, combien d’heures de perm’) 

Pas étonnant que le jour de la rentrée soit un drame si profond pour des milliers d’enfants ! Pas étonnant non plus que le soir même, ces enfants aient tellement de choses à raconter sur ce qu’ils ont gagné ou perdu à la loterie du premier jour…

Rites de passage

 

Je crois profondément qu’une fois adultes, nous gardons des traces de ce rite de passage. C’est souvent à la même époque que nous démarrons un nouveau job ou une nouvelle mission, dans la même entreprise ou dans une autre, avec des personnes et dans des lieux que nous connaissons bien, peu, ou pas du tout. Nous découvrons aussi une nouvelle organisation de notre temps, d’autant plus que nous avons parfois déménagé pendant l’été et que nous découvrons de nouveaux trajets…

La différence fondamentale, bien sûr, c’est que désormais nous sommes adultes. Nous sommes donc totalement responsables de nos choix, et nous avons notre mot à dire sur ce que nous voulons, sur ce que nous refusons, sur nos limites, nos règles et nos envies. Bizarrement, je constate que beaucoup d’adultes ne disent rien, « attendent de voir », en pensant : « on ajustera après ».  

Au contraire ! La période de la rentrée est justement celle où nous sommes tous prédisposés à accepter de la nouveauté, du changement, à créer de nouveaux liens, ou à modifier des liens existants. Une fois que les habitudes sont prises, que le temps a passé… les changements seront plus compliqués – comme lorsque nous demandions à la prof de changer de place…

Je vous propose donc de réfléchir autour de trois axes essentiels :

. Quelles sont mes règles ? Je ne parle pas de principes, qui s’énoncent sur le mode « ce serait bien de… » mais de ma décision (« Je m’engage ») à respecter et à faire respecter ces règles fondamentales pour moi. Et une règle s’énonce sur le mode « il est obligatoire de » ou « il est interdit de ».

Par exemple, j’ai décidé de respecter la règle « il est interdit de parler négativement de l’être d’une personne ». Et je demande aux personnes qui travaillent avec moi de la respecter. Je remplace donc systématiquement « c’est quelqu’un de malhonnête » par « c’est quelqu’un qui a selon moi des comportements que je considère comme malhonnêtes ». C’est plus long à dire, mais cela me permet de demander quelque chose à la personne au lieu de simplement lui coller une étiquette sur le front et de bloquer mentalement toute possibilité de relation saine. Au final, c’est un gain de temps colossal.

. Quelles sont mes envies ? La mode est au sens… et je trouve cette réflexion passionnante. Mais je vois aussi qu’elle n’aide pas vraiment les gens au quotidien. D’abord parce que le sens est trop lointain, trop idéal. Ensuite parce que le sens que je peux me donner aujourd’hui pourra changer, si les conditions dans ma vie ont suffisamment changé.

Avoir un axe me permet de prendre des décisions dans un monde changeant. Mais rester « cramponné » à ce « sens » peut devenir un piège si justement le monde (y compris mon monde intérieur) a trop changé.

Je propose donc de rajouter un « étage » à plus court terme, celui des envies. Qu’est-ce qui me rendrait heureux ou heureuse d’ici trois mois ? Six mois ? Un an ? Qu’est-ce que j’aimerais avoir réalisé d’ici au prochain été, au moment de mon départ en vacances ? Construire des projets plus réduits permet d’avoir des repères concrets pour nous réjouir sincèrement du chemin parcouru. Et préparer ensuite la prochaine rentrée…

. Avec qui est-ce que je veux passer l’année ? A l’école, j’identifiais très vite ceux avec qui bosser, ceux avec qui passer les récrés… et ceux avec qui monter des chahuts spectaculaires. Je crois qu’à l’âge adulte nous devons aussi décider davantage de ceux avec qui nous voulons travailler, réfléchir, créer des liens personnels, partir en week-end… Ce ne sont pas forcément les mêmes dans chaque catégorie ! Arrêtons de subir, et décidons de nos compagnonnages – cela permet de créer des liens beaucoup plus clairs, authentiques, nourriciers.

En plus d’avoir fait ma rentrée scolaire pendant 18 ans (je crois…), j’ai aussi été comédien pendant 8 ans. Le mois de septembre, c’est donc aussi pour moi celui de l’ouverture de la saison théâtrale ! Ma société clôture ses comptes en décembre, mais j’ai gardé de mon ancien métier l’idée que la fin de l’été est le moment du retour au jeu.

Jouer, pour un comédien, c’est mettre toute sa personnalité, ses émotions, ses connaissances, son histoire et son travail, dans l’incarnation juste d’un rôle. Juste par rapport à soi, par rapport aux consignes du metteur en scène, et par rapport à la présence et aux propositions de ses partenaires de scène. Et faire tout ça avec à la fois la plus grande exigence, et la conscience aiguë que cela reste du jeu, et qu’il y a une infinie quantité de choses plus importantes dans le monde. Et profiter du plaisir, de la liberté entre cette exigence et cette conscience.

C’est un modèle que j’utilise encore aujourd’hui, dans mon métier. Je veux accompagner des personnes dans le plus grand nombre d’univers possibles, pour qu’elles communiquent efficacement, librement et joyeusement, avec elles-mêmes et avec les autres. Je mets toute mon exigence, toute mon expertise (passée et en construction), et toute mon empathie au service de cette mission. Je suis heureux des retours que j’obtiens. Et je sais qu’il y a beaucoup plus important dans le monde.

Peut-être que cela peut vous être utile pour considérer votre rôle professionnel actuel. Soyons sérieux sans nous prendre au sérieux. Que notre devoir soit de faire les choses bien, pas de les faire parfaitement. Et mettons aussi notre exigence à prendre du plaisir chaque jour dans ce que nous faisons.

Bon démarrage, joyeuse rentrée, très belle saison à tous !

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