La météo n’a pas grand-chose à voir avec vos humeurs

Feb 04, 2023
La météo n’a pas grand-chose à voir avec vos humeurs - Aurélien Daudet

Comme vous peut-être, j’ai toujours pensé que mon humeur dépendait fortement du temps qu’il fait. Les jours de pluie et les mois d’hiver mieux valait serrer les dents et se répéter en ronchonnant « après la pluie, le beau temps ». Cette croyance populaire semble en réalité assez fausse, et c’est une bonne nouvelle.

La météo n’a pas grand-chose à voir avec vos humeurs

Comme vous peut-être, j’ai toujours pensé que mon humeur dépendait fortement du temps qu’il fait. Les jours de pluie et les mois d’hiver mieux valait serrer les dents et se répéter en ronchonnant « après la pluie, le beau temps ». Cette croyance populaire semble en réalité assez fausse, et c’est une bonne nouvelle.

Vous êtes triste, de mauvais poil, à plat ? N’accusez pas la météo…

Il y a un peu plus de 20 ans, le psychologue américain David Watson publiait l’un des bouquins les plus essentiels concernant la mesure de nos humeurs et de notre caractère[1]. J’avais ce bouquin dans ma bibliothèque depuis des années, mais c’est seulement cette semaine que j’ai enfin pris le temps de le lire[2]. David Watson définit ces humeurs comme « des épisodes transitoires de sentiments ou d’affects », qu’il ne faut pas confondre avec les émotions : celles-ci sont plus intenses, plus courtes (quelques secondes vs quelques heures ou jours pour les humeurs), et elles sont plus fonction d’événements extérieurs.

Les « moods », que nous traduisons aussi parfois en français par « états d’esprit » (alors qu’ils incluent bien sûr aussi le corps), incluent « de nombreux états émotionnels importants et courants qui reflètent des versions atténuées des émotions classiques » – comme par exemple « agacé, irrité » par rapport à « en colère » ou « nerveux, tendu » par rapport à la peur, ou bien encore « agréable, jovial » par rapport à joyeux.

En quelque sorte, les « moods » seraient une manière de décrire notre météo intérieure, sur laquelle les émotions pures se détacheraient comme des phénomènes intenses et brefs – tornades, orages, inondations ou journées de plein beau temps. Et justement, cette météo intérieure est-elle influencée par le temps qu’il fait… à l’extérieur ?

David Watson a conduit la première étude de grande ampleur concernant cette question, avec différents étudiants interrogés à différentes saisons entre 1989 et 1993. Soit au total 489 étudiants et 20000 mesures « d’humeur » rapportées ensuite à un ensemble de données météo fournies par l’administration américaine. A sa grande surprise, cette étude prouvait qu’il n’y avait aucun rapport entre l’état d’esprit des personnes interrogées et le temps qu’il faisait. Que ce soit le nombre de minutes d’ensoleillement, la pression barométrique, ou le volume de précipitations, aucun facteur n’avait d’influence significative sur les humeurs, positives ou négatives.

Est-il possible de trouver une corrélation au moins dans le cas des météos les plus tranchées ? David Watson a focalisé son étude sur les journées sans le moindre rayon de soleil et celles avec au contraire le maximum d’ensoleillement possible. De nouveau, les résultats étaient fascinants : dans le cas des journées les plus ensoleillées, les sentiments relevés étaient lesmêmes que sur un jour « moyen », avec la même répartition entre positives et négatives, mais avec une intensité supérieure. Et pendant les jours intégralement couverts, « sombres », ou pluvieux, la répartition des humeurs était absolument inchangée par rapport à la moyenne. Conclusion de David Watson : « dans l’ensemble, nous devons donc conclure que l’humeur n’est pas affectée par les variations de l’ensoleillement et de la pluviométrie. »

En bon scientifique, David Watson propose de faire de nouvelles études sur l’impact par exemple de très nombreux jours consécutifs de mauvais temps, ou de comparer les résultats dans un grand nombre de zones géographiques (il a conduit les siennes à Kyoto et à Dallas). Mais ces résultats restent je trouve tout à fait essentiels ! Tous les ans, au début de l’été et au creux de l’hiver, la presse grand public entretient la croyance d’un lien entre humeur et météo, en évoquant « des études scientifiques qui le prouvent ».

Problème : si l’on regarde dans le détail ces fameuses études, elles sont souvent douteuses. David Watson souligne en particulier que pour la plupart elles ont été faites à partir d’un nombre très réduit d’observations. L’une des études les plus citées, conduite en 1979 par Michael R. Cunningham, portait sur 130 mesures d’humeur rapportées par une dizaine de serveuses de café… Ce professeur de l’Université de Tulasne a d’ailleurs qualifié son étude de « quasi-experiment »[3], plus empirique que réellement scientifique.

 

Une influence des saisons ?

 

Et pourtant… peut-être que comme moi, comme David Watson lui-même, vous avez en ce moment bien du mal à croire qu’il n’y a aucun rapport prouvé entre le temps et votre état d’esprit ? Et peut-être est-ce que c’est la vraie question : pourquoi cette croyance est-elle si ancrée en nous ? Est-ce qu’au-delà des variations quotidiennes nous pourrions au moins nous rattacher à des variations saisonnières – autre croyance fortement ancrée dans nos esprits ?

De nombreuses études ont porté sur le « Seasonal affective disorder » (SAD), reconnu comme un type de dépression qui se manifesterait en particulier pendant l’hiver, et disparaissant au printemps et en été. Ce syndrome est reconnu depuis le début des années 80, et des études menées par le National Institute of Mental Health aux Etats-Unis. Problème : la plupart des personnes interrogées dans ces études sont invitées à se souvenir de leurs humeurs au cours des mois précédents, ce qui implique un risque majeur de reconstruction par la mémoire. Comme le remarque David Watson, aucune étude n’a porté « sur un grand nombre de personnes, interrogées au moins une ou deux fois par mois, pendant deux ou trois ans minimum » pour contrer les effets de saisons exceptionnelles. Il conclut : « nous devons donc nous contenter de preuves indirectes ».

En 2016, une étude[4] de psychologues de l’Université d’Auburn, dans l’Alabama, a apporté un nouveau regard sur la question. Les chercheurs ont utilisé les réponses du « Behavioural Risk Factor Surveillance System », une enquête téléphonique menée tous les ans auprès de plus de 30000 personnes. Parmi celles-ci, un peu plus de 1700 personnes étaient considérées comme dépressives en utilisant l’indicateur PHQ-8, reconnu scientifiquement. En corrélant ces résultats avec les données sur la date de réponse au questionnaire, la localisation géographique des participants, les chercheurs n’ont trouvé aucun lien entre météo et état dépressif. « La dépression n’était pas liée à la latitude, à la saison ou à l’ensoleillement. Les résultats ne soutiennent pas la validité d’un modificateur saisonnier dans la dépression majeure. L’idée d’une dépression saisonnière est peut-être fortement ancrée dans la psychologie populaire, mais elle n’est pas soutenue par des données objectives. »

 

Le bon sens populaire a-t-il complètement tort ?

 

Nous sommes revenus à la case départ ! Toujours aucun lien prouvé entre ensoleillement, températures, pression atmosphérique… et nos états d’esprit. Et pourtant, vous continuez peut-être à penser que dans votre cas vous voyez bien qu’il y a un lien !

C’est peut-être une première cause à cette croyance. Une fois que nous sommes sûrs qu’il y a un rapport, nous sélectionnonssans nous en rendre compte les informations de manière à confirmer ce que nous pensons. Si quelqu’un est d’humeur maussade, et voit que le temps est mauvais, il ou elle se dira immédiatement : « évidemment ! Avec ce temps… » Alors que si cette personne « regarde à l’extérieur et voit que la journée est claire et ensoleillée, elle en conclura immédiatement que le temps ne peut pas être une explication appropriée. (…) Et elle se mettra immédiatement à chercher quelle est la ‘vraie’ cause de son état ». Et dans l’autre sens, nous aurons tendance à oublier dans notre raisonnement tous les jours de beau temps… où nous nous sommes sentis mal.

Finalement, l’origine de cette croyance, largement fausse, vient peut-être de notre histoire. Il fut un temps où le temps et ses aléas avaient des conséquences beaucoup plus importantes sur notre vie quotidienne, notre santé, notre capacité à nous nourrir. Aujourd’hui, « à l’exception de ceux qui travaillent à l’extérieur (agriculteurs ou travailleurs du bâtiment par exemple), la plupart des individus dans les sociétés modernes industrialisées ont très peu de contacts au quotidien avec le temps qu’il fait. (…) Nous nous sommes tellement éloignés de la nature que le temps a cessé de nous influencer de manière significative. Les croyances météorologiques ne sont peut-être que des vestiges archaïques d’un mode de vie antérieur qui a aujourd’hui largement disparu. »[5]

 

Quelles solutions 

 

Si vous vous sentez en « petite forme » pendant ces mois d’hiver, inutile d’accuser le mauvais temps. Ce qui en soi est plutôt une bonne nouvelle… parce que nous ne pouvons pas y faire grand-chose ! Le problème ne vient pas directement du temps qu’il fait, on l’a vu. Il est possible en revanche qu’il vienne de ses conséquences.

 

Dans son livre, David Watson montre un lien direct entre l’exercice physique et les activités sociales et les humeurs positives. Faire du sport, mais aussi ranger votre cave, bricoler, serait bien plus positif pour votre état d’esprit que de penser (cf. cet article) ! Et voir du monde, quel que soit le type d’événement ou d’interaction, aurait aussi des conséquences bénéfiques pour notre moral. Souvent en hiver, quand la nuit tombe tôt, qu’il pleut, qu’il fait froid, nous aurons tendance à rester chez nous, à nous enfoncer dans notre canapé devant des séries. Nous ferions bien mieux de nous pousser un peu à sortir, à voir du monde, à aller courir ou à repeindre notre salle de bains !

 

 

 

[1] David Watson, Mood and Temperament, The Guilford Press, New York, 2000

[2] Ça n’est d’ailleurs pas un hasard : les dates du tournage de ma formation sur les émotions sont enfin fixées ! Merci beaucoup Brice d’avoir dégagé du temps en mars pour mon projet. Avoir une date butoir, et bosser avec des pros de haut niveau, deux techniques simples pour me motiver à faire du bon boulot.

[3] Michael R. Cunningham, « Weather, mood, and helping behavior: Quasi experiments with the sunshine samaritan », Journal of Personality and Social Psychology, 37(11)

[4] M. K. Traffanstedt, S. Mehta, S. G. LoBello, « Major Depression With Seasonal Variation: Is It a Valid Construct? » Clinical Psychological Science, 2016

[5] David Watson, Op. cit., pp. 101-102

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