« Je n’ai pas le temps ! » – cette illusion toxique

Apr 30, 2022
« Je n’ai pas le temps ! » – cette illusion toxique - Aurélien Daudet

« Je n’ai pas le temps »… voilà sans doute l’une des phrases que l’on entend le plus au travail… et en-dehors. Nous passons un temps certain à nous plaindre de ne pas en avoir assez. Certains disent même qu’ils « courent après le temps », comme s’ils en étaient tombés et qu’ils cherchaient à remonter dans un train devenu fou.

 

 

Le refrain est connu : le rythme de nos vies modernes s’est considérablement accéléré, comme le nombre de sollicitations (d’humains, de machines, ou d’humains au travers de machines). Nous accomplissons chaque jour un nombre considérable de tâches, et nos agendas (perso ou pro) terrifieraient nos arrière-grands-parents.

Pourtant, nous avons aussi beaucoup plus de temps que les générations qui nous ont précédés : l’espérance de vie a presque doublé en France au XXème siècle, et la durée légale du travail a été divisée par deux depuis le début du XIXème ! La phrase « je n’ai pas le temps » serait donc incomplète – mieux vaudrait dire : « je n’ai pas le temps de tout faire ». Ou encore mieux : « je n’ai pas assez de temps pour tout faire ».

Mais tout… quoi ? Est-ce qu’il y a une liste, qui s’afficherait chaque matin et dont nous cocherions chaque ligne au fur et à mesure de la journée ? Mais s’il y avait une liste, nous n’utiliserions pas ce vague «… tout » ? Nous dirions « je n’ai pas le temps de faire ceci ou cela » ? Et après avoir réfléchi un moment peut-être que nous dirions « … et ça n’est pas si important » ? Ou peut-être que nous ne voudrions pas renoncer à ceci ou à cela… et que nous demanderions de l’aide ?

Dire « je n’ai pas le temps » ou « je n’ai jamais le temps de tout faire », c’est une exagération, une manière de nous enfoncer dans l’impuissance et la passivité. Nous avons le temps, nous avons chaque jour le même temps – 24 heures. Et nous utilisons ce temps en fonction de nos choix. Dire « je n’ai pas le temps », c’est nous faire croire que le monde extérieur a pris le contrôle de nos vies et que nous sommes soumis à des forces, des contraintes, des décisions qui nous échappent. « Que veux-tu, je n’y peux rien, je n’ai pas le temps ».

C’est une bien mauvaise idée : un nombre considérable d’études ont prouvé que plus nous aurons l’impression d’avoir du contrôle dans nos vies, plus nous serons heureux – dans nos études, nos jobs, nos relations familiales ou amicales – partout. Au contraire, les personnes qui ont un « external locus » (concept développé par le célèbre psychologue américain Julian Rotter en 1954) pensent que les événements de leurs vies sont majoritairement conditionnées par des forces extérieures. Et elles sont beaucoup plus candidates au stress, aux angoisses, à la dépression et aux maladies.

Arrêtons donc de dire « je n’ai pas le temps », et remplaçons cette phrase par « je ne prends pas le temps ». Par exemple : « je n’ai pas eu le temps de faire ce rapport » – « je n’ai pas pris le temps de faire ce rapport – je vais le prendre aujourd’hui ». Ou bien « je n’ai pas le temps de venir à cette réunion » – « je ne veux pas prendre du temps pour cette réunion, je préfère me concentrer sur la préparation du rdv de demain chez notre client ».

Ce sont des choix que je fais, en évaluant l’importance de chaque chose, et aussi mon niveau d’énergie, d’envie. Nous pouvons ensuite en discuter, réévaluer les priorités, collaborer… bref choisir ensemble un processus. Si je dis « je n’ai pas le temps », aucune issue n’est possible.

Nous ignorons l’heure de notre mort. Mais nous savons que notre trajet a une fin. Courir de plus en plus vite autour du sablier en répétant « je n’ai pas le temps » ne le fera pas disparaître. Reprenons le contrôle de nos vies avec un triomphal « je prends le temps ». Cela nous évitera sans doute le plus terrifiant des regrets : « je n’ai pas eu le temps ».

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