Demander pardon plutôt que de présenter des excuses

Mar 23, 2023
Demander pardon plutôt que de présenter des excuses - Aurélien Daudet

Depuis que je suis tout petit, la question de « faire des excuses » m’a toujours intrigué. Je me souviens qu’il ne fallait SURTOUT pas dire « je m’excuse », mais « je vous prie d’accepter mes excuses » ou « je vous présente mes excuses ». Et je me souviens aussi que je ne voyais pas vraiment en quoi cela réglait le problème…

Une personne en colère vient me voir. J’ai fait une erreur, j’ai mal lu son mail, je pensais avoir une semaine de plus pour lui envoyer un doc. Même en accélérant le mouvement, je vais être en retard, et donc elle aussi. Quand elle m’a appelé pour me « remonter les bretelles », j’ai juste dit « désolé, j’ai mal lu ton mail », et je me suis concentré sur ce que j’avais à faire rapidos. Je lui ai envoyé mon document, avec un piteux « encore désolé pour ce retard ». Nous aurions pu en rester là, comme souvent, mais j’ai l’impression d’un manque, d’une chose qui n’est pas encore « fermée ». Et je sais que si je ne m’en occupe pas, cela va peser d’une manière ou d’une autre dans notre relation.

Est-ce que cette histoire, assez banale finalement, vous parle ? Est-ce que vous aussi vous avez eu à vous excuser ou à recevoir des excuses, et est-ce que vous avez eu ce sentiment de quelque chose d’incomplet ? Autre exemple classique, la personne qui arrive en retard dans une réunion et annonce, souvent d’une voix assez forte : « désolé pour mon retard ! » ou « excusez-moi, j’ai fait au plus vite ! » La réponse habituelle et « polie » est un rapide « je t’en prie, assieds-toi », mais vous ne trouvez pas qu’il traîne parfois une légère rancœur à l’égard du retardataire ? Si en plus cette personne a envoyé son excuse en souriant ou en coupant la parole de quelqu’un… 

Est-ce parce que tout cela manque de sincérité ? Est-ce qu’il faudrait montrer plus de contrition ? C’est sans doute ce qui est à l’origine de formules – un peu alambiquées – telles que « je vous prie de bien vouloir m’excuser » ou « je vous présente mes excuses ». On soulignerait ainsi que seule la personne offensée peut « excuser ». Mais une tournure « polie » suffit-elle à rétablir la relation ? Comment être sûr qu’on est bien « excusé » ? Et que la personne « offensée » ne va pas continuer à nous en tenir grief – soit dans son for intérieur, soit en ressortant des « dossiers » plus tard ? Elle avait l’air d’avoir « passé l’éponge », mais visiblement j’ai encore une « ardoise », puisque je l’ai entendue dire deux jours plus tard « tu sais, il est toujours en retard, pas moyen de démarrer une réunion tranquillement ! »

Je crois que le premier problème vient de l’« excuse » elle-même. Le Littré rappelle que le premier sens de ce mot est « raison alléguée pour se défendre d’une accusation, d’un reproche, pour expliquer ou atténuer une faute, se disculper ou disculper autrui. » Et le dictionnaire rapproche l’excuse de « défense, explication, justification, motif, raison. Présenter ses excuses, au sens propre, serait présenter une raison minimisant ou annulant notre faute, notre tort. Un peu comme le « mot d’excuse » signé par les parents que nous présentions à la maîtresse : « le gamin n’y est pour rien, c’est la faute de la maladie » – ou des dits parents qui avaient préféré partir plus tôt en week-end pour éviter les bouchons.

Quelle que soit la forme choisie, utiliser l’excuse serait vouloir obtenir une sorte de « laisser-passer ». Ex-cuser quelqu’un, c’est – toujours selon le Littré – mettre hors de cause, ou dis-culper, « décharger quelqu’un de l’accusation, du reproche dont il était l’objet, en admettant des motifs qui atténuent sa faute ou la justifient. » Mais donc pour excuser quelqu’un, il faudrait que je sois pleinement d’accord avec l’exposé de ses motifs ! Or souvent ceux-ci ne sont pas donnés, ou très vaguement : « désolé, la réunion d’avant n’en finissait pas » – en quoi est-ce que cela atténue ma peine et en quoi donc est-ce un motif de réduction de la tienne ?

Je vous propose donc de remplacer toutes ces formes d’excuses, assez passives, floues, inefficaces, par une demande active, celle d’un pardon. En trois étapes :

  1. « Je te demande pardon » 

Pour ce que j’ai fait, ou pas fait, pour le désagrément que tu as vécu, la peine, la colère ou la peur que tu as ressenties. Je ne cherche pas à justifier les raisons de mon comportement, cela t’importe peu à ce moment-là. Je ne cherche pas non plus à minimiser ce que tu as vécu, ce serait une nouvelle erreur. Juste je constate ce qui s’est passé, et je montre mon intention de réparer notre relation.

  1. « Je m’engage »

Je prends l’engagement de ne pas refaire cette erreur. Et je présente un plan d’action pour cela. Éventuellement en demandant la participation de l’autre : « est-ce que tu veux bien m’avertir en amont ? » « est-ce que nous pouvons convenir d’un signe que tu me ferais si je me rapproche de ce qui n’est pas ok pour toi ? »

  1. « Je demande à réparer »

C’est peut-être la chose la plus surprenante, mais aussi la plus puissante dans cette boucle du pardon. « Je t’ai causé un tort, je veux le réparer par un geste, une action, un cadeau ». Souvent les personnes en face de vous vont répondre quelque chose comme « non, mais ça va, c’est passé, on oublie, c’est pas grave, c’est déjà oublié ». Évidemment ça n’est pas déjà oublié.

Pour que la boucle soit refermée, celui qui a fait une faute offre une réparation, qui sera définie par la personne lésée. Il ne s’agit pas de « rééquilibrer les comptes » de manière stricte, avec une peine « équivalente » : « la prochaine réunion que tu animes j’arriverai en retard de 10 minutes moi aussi » – on sera bien avancés… C’est une sanction que tu décides, et que j’accomplis pour rétablir notre relation.

Reprenons l’exemple de l’arrivée en retard en réunion. En rentrant, je vais me limiter à un « bonjour, désolé », ou à un simple salut par un geste ou un regard, pour ne pas gêner davantage les personnes qui sont déjà là. A la fin de la réunion, j’irai voir celle qui avait organisé la réunion, pour lui dire :

– Je te demande pardon d’être arrivé en retard. Je m’engage à faire le maximum pour que cela ne se reproduise pas. Et toi, dis-moi ce qui serait une bonne manière de réparer ce que j’ai fait ?
– Ah mais rien, je t’en prie, ça n’est pas bien grave !
– Tant mieux, comme ça tu n’auras pas à me demander une trop grosse réparation ! Mais c’est important pour moi. Qu’est-ce qui te ferait plaisir, et qui serait une bonne compensation pour mon retard ?
– Le fait que tu te sois engagé pour les prochaines réunions, c’est déjà top. Et en plus, tu n’as qu’à m’inviter à prendre un café !
– Avec plaisir.

Cette réparation symbolique montrera à la personne en face de vous que vous tenez vraiment à elle et à votre relation. Et peut-être aussi que l’ensemble du processus vous coûtera suffisamment pour que vous fassiez plus attention la prochaine fois…

Sauf si vous y tenez vraiment, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’aller jusqu’à l’ « amende honorable », reconnaissance de ses torts et demande de pardon publiques 😀 ! Le face-à-face, parfois en décalé dans le temps, est bien assez intense. Demander pardon, c’est rentrer dans une dynamique profondément différente de l’« excuse », à l’intention moins limpide. Et obtenir le pardon, au prix d’une réparation, c’est rendre notre relation plus belle qu’avant la faute.

< Article précédent Article suivant >